Parlement représentatif et démocratie directe permanente
Par J.P. Matheron. 9/03/2025
Parlement représentatif et démocratie directe permanente au 21ème siècle
Introduction
Tout le monde se plaint que la démocratie représentative ne fonctionne plus. Nombreux sont ceux qui disent que les élus ne représentent plus leurs électeurs. Nombreux aussi ceux qui pensent que les politiciens sont des menteurs corrompus. Cette dernière affirmation est peut-être exagérée, quoique, au vu de certains scandales, des magouilles et des petits arrangements, on est en droit de se poser des questions. Nombreux encore ceux qui pensent que tout ce beau monde est « déconnecté » de la réalité et de ce que « vivent les gens ».
1) Parlement et représentativité
Les taux de participation lors des élections sont devenus très faibles, parfois de l’ordre de 50%, sans compter ceux qui refusent de s’inscrire sur les listes électorales. Au point qu’on dit parfois que le premier parti de France est celui de l’abstention. Même si, parmi eux, certains sont indifférents à la chose publique et préfèrent « aller à la pêche », il n’en demeure pas moins que les abstentionnistes, par leur refus du vote, expriment un grand découragement, se disent qu’il est inutile d’aller voter et ont l’impression, justifiée, que les élections ne servent à rien, que les promesses ne sont pas tenues et que rien ne change. On se souvient du slogan : « élections, piège à cons ».
Prenons le cas d’une élection où, au second tour, A se présente contre B. A remporte l’élection avec 51% des suffrages exprimés, contre 49% pour B, avec un taux d’abstention de 50%. Il en résulte que A est élu par seulement 25,5% des électeurs. A est-il représentatif ? Il y a même des situations bien pires, par exemple dans une commune de 50 000 habitants, un maire élu avec 3000 voix.
Bien entendu, sur les plateaux, le soir d’une élection, tous les commentateurs se lamentent sur la faible participation, déplorant le manque de civisme des électeurs et, dès le lendemain, la chose est oubliée et la vie continue comme d’habitude.
Certains préconisent de rendre le vote obligatoire (comme le vaccin covid ?). Une telle proposition heurte les oreilles d’un libéral, rarement partisan de l’option « obligatoire » synonyme « d’interdit ». En effet, pour éviter l’amende, les abstentionnistes voteront blanc ou nul, ce qui ne changera pas grand-chose, mais on aura eu encore un petit coup de bureaucratie.
Pour faire revenir les citoyens aux urnes, ne faudrait-il pas rendre le vote désirable, faire en sorte que les citoyens trouvent, parmi les candidats, des personnes proches de leurs problèmes ? Autrement dit, ne faudrait-il pas que les électeurs puissent choisir un candidat qui soit, socialement, un des leurs ?
Les différentes catégories sociales sont très mal représentées à l’Assemblée nationale. Ceci est loin d’être une nouveauté. C’était manifeste à l’époque du suffrage censitaire où il fallait avoir de l’argent pour avoir droit de vote, mais c’est toujours vrai depuis que le suffrage est universel.
Ainsi, dans l’actuelle Assemblée, il y a -parait-il – une femme de ménage parmi les députés LFI et une autre parmi ceux du RN. Combien y a-t-il d’éboueurs ? De caissières ? De chômeurs ? D’infirmières ? De livreurs ? De chauffeurs Uber ? D’ouvriers ? D’agriculteurs ? De commerçants ? De petits entrepreneurs ? D’ingénieurs ? De producteurs ?
Il y a des notables, des enseignants et beaucoup de fonctionnaires. Sont-ils représentatifs de la population ?
2) pour une meilleure représentativité des catégories
L’idée est de répartir la population par collèges électoraux calqués sur les déciles de revenus.
Exemple des élections aux conseils des universités
On peut s’inspirer de la manière dont sont organisées les élections pour les différents conseils dans les universités.
Les électeurs de la population universitaire sont répartis en quatre collèges ;
- le collège des Professeurs d’université,
- le collège des autres enseignants-chercheurs,
- le collège des personnels administratifs et techniques,
- le collège des étudiants.
Un nombre de sièges est prévu pour chaque collège dans les conseils (sauf les conseils scientifiques). Ainsi les professeurs votent pour des professeurs au conseil et les étudiants votent pour des étudiants. Chaque catégorie est donc représentée.
Proposition d’élections collégiales par déciles de revenu pour les législatives
La présente proposition consiste à faire de même pour les élections législatives en répartissant les électeurs par collèges électoraux correspondant aux 10 déciles par revenu de la population. Les candidats de chaque décile devant appartenir à ce même décile.
Chaque collège ainsi constitué correspondrait à 10% de la population. Il devrait lui correspondre 10% des sièges à attribuer.
Ainsi, les personnes de très faible revenu voteraient pour des candidats de très faible revenu et ceux qui ont de gros revenus pour des candidats à gros revenus.
Il y aurait donc autant de riches que de pauvres à l’Assemblée et les différentes catégories sociales seraient donc à peu près représentées.
En début d’année, l’administration fiscale indiquerait à chaque citoyen son collège électoral d’appartenance pour l’année, en fonction de sa déclaration de revenus. Notons que les revenus peuvent être des salaires, des pensions, des revenus du capital, etc...
En conséquence, dans cette configuration, les élections nationales par circonscription perdent leur pertinence puisque la subdivision en déciles est faite au niveau de l’ensemble de la population. Les élections législatives devront donc se faire au niveau national (comme pour les élections européennes).
Transposition au cas des élections locales
On pourrait imaginer un mode de fonctionnement analogue pour les élections locales.
Encore faudrait-il dans ce dernier cas revoir la répartition en collèges dans chaque territoire. En effet, la dispersion des conditions sociales risque de varier d’une région à une autre. Elle n’est certainement pas la même dans le monde rural que dans celui d’une grande métropole comme Paris ou Lyon. Dans certains coins, il n’y aurait peut-être qu’un ou deux collèges.
Si les déciles sont pertinents au niveau national, la subdivision en collèges devra être adaptée aux particularités de chaque territoire, mais l’idée reste la même. L’INSEE devra faire ce travail de répartition en collèges à l’aide de ses moyens informatiques.
Avantages et inconvénients
Est-il certain que cette proposition suffise à limiter l’abstention ? Nous n’avons sur ce point aucune garantie. On peut alors imaginer que si le taux d’abstention et de votes blancs ou nuls dans un collège dépasse un certain seuil (par exemple 30%, ou 50%), l’élection (faute d’une offre électorale satisfaisante aux yeux des électeurs) soit annulée dans ce collège et donne lieu à une nouvelle élection, les candidats de la première élection n’ayant plus droit de se représenter dans la seconde. Si l’abstention persistait une nouvelle fois, alors l’élection serait remplacée par un tirage au sort, au sein du collège en question (une personne tirée au sort ayant, bien entendu, la faculté de refuser).
On objectera que ce système porte le risque de cantonner chacun dans sa condition et qu’il s’oppose au principe de la mixité. Un ouvrier ne pourrait pas voter pour un cadre et réciproquement. Il s’agit là sans doute d’un inconvénient. Toutefois, il obligerait les différents partis politiques à présenter des candidats dans toutes les catégories sociales et donc à intégrer des membres de ces dernières dans leurs directions respectives.
En outre, cette solution aurait le mérite de faire émerger des talents dans toutes les catégories, certains et même beaucoup de ces talents étant aujourd’hui invisibilisés. Au final, la mixité sociale passerait du statut de théorique à celui de réel dans les assemblées, tant nationale que locales.
Mode de scrutin
Ce système d’élections par collèges obligera quasiment, tant au niveau national qu’au niveau local, d’avoir recours à un mode de scrutin par listes, donc soit plurinominal majoritaire à un ou plusieurs tours, soit proportionnel. On ne discutera pas ici des avantages ou inconvénients de ces divers systèmes. Jusqu’à présent on disait que le système proportionnel semble plus démocratique mais qu’il présente l’inconvénient de rendre difficile de dégager une majorité claire en vue d’une stabilité gouvernementale. Avec ce nouveau système, la donne change complètement, puisqu’il est difficile de prédire si une majorité serait susceptible de se dégager à l’Assemblée dans cette nouvelle configuration. Cette incertitude sera probablement dissipée, car notre proposition complémentaire relative à la démocratie directe risque fort de permettre des majorités, non pas à l’Assemblée, mais au niveau du vote par référendum numérique.
Pour une concurrence des offres électorales libre et non faussée
Les élections font l’objet d’offres concurrentes entre différents partis ou mouvements. Le résultat des élections doit correspondre à une rencontre entre l’offre et la demande. Il s’agit donc d’une sorte de marché aux voix. Pour qu’un marché fonctionne bien, il faut que la concurrence soit libre et non faussée. Elle ne doit donc pas être faussée par le fait que certains partis ont plus accès aux médias que d’autres ou sont plus riches.
Pour cette raison, aucun parti ne devrait recevoir de subventions, les partis devant vivre des cotisations de leurs adhérents et des dons de leurs sympathisants, ceux-ci étant d’ailleurs strictement plafonnés.
Les sondages électoraux devraient être interdits ainsi que les meetings de campagne. Les émissions de télévision ne devraient faires aucune interviews de personnes politiques. Celles-ci pourraient s’exprimer librement sur les réseaux sociaux, de même que les électeurs. Les seules interventions à la télévision seraient, dans le cadre de chaque collège, des déclarations de chaque parti pour exposer son programme ainsi que des débats contradictoires avec les représentants de toutes les listes, avec temps de parole strictement égal.
En outre, pour prouver leur engagement, les candidats devraient accepter de prendre des risques. Ainsi, un fonctionnaire élu devrait automatiquement démissionner de la fonction publique, avec aucune possibilité d’y retourner par la suite (mesure qui devrait également s’appliquer à tout ministre).
3) Démocratie directe
Un certain consensus semble se dégager – nous l’avons dit – pour constater que la démocratie parlementaire ne fonctionne plus. Pourra t’elle mieux fonctionner avec notre système par collèges ? Nul ne peut le savoir, puisque cette expérience n’a encore jamais été tentée.
Le RIC
Au moment de la crise des gilets jaunes a émergé l’idée du RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne). À la suite d’une pétition recueillant suffisamment de voix, un référendum pourrait être organisé, soit pour annuler une loi impopulaire, soit pour une nouvelle loi, soit encore pour destituer un élu jugé incompétent ou néfaste (y compris le Président de la République), soit tout simplement pour prendre une décision importante ; ceci pouvant s’appliquer au niveau national comme au niveau local. Ce RIC serait l’alpha et l’oméga de la démocratie (démos kratos) : le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple. De nombreux partis ont repris à leurs comptes cette proposition, sans que jamais elle n’ait été débattue dans le « parlement représentatif ». Et pour cause.
Bien entendu, on ne voit guère de raison pour qu’un esprit démocratique s’oppose à une telle solution. Ce serait un premier retour à la démocratie directe.
Démocratie directe et démocratie représentative
En effet, autrefois, dans l’Athènes antique, sur l’Agora, la place publique, les citoyens – les hommes libres, pas les esclaves – votaient directement les lois et mettaient aux voix les décisions.
Ce qui était possible au niveau d’une cité était difficilement transposable à l’échelle d’un pays.
Lorsque la monarchie absolue a été abolie, comme il était impossible de faire voter directement tous les citoyens, l’idée de députation s’est faite jour. Les députés, élus dans leurs provinces, venaient à Paris (et il fallait plusieurs jours en calèches pour aller de Marseille à la capitale) pour voter les lois à l’Assemblée, au nom de leurs électeurs. C’est ainsi que la volonté du peuple était censée s’exprimer, du moins en théorie. En théorie, parce que, à l’usage, on a vu comment la volonté des électeurs a été trahie.
D’où l’idée de RIC, afin de retrouver l’esprit de la démocratie directe. Notons que ce système existe déjà en Suisse – petit pays, il est vrai – sous la forme des « votations ».
Donc, en effet, rien ne s’oppose au RIC.
Démocratie directe permanente
Pourtant, on peut faire mieux. Nous sommes au 21ème siècle. Il existe quelque chose qui s’appelle Internet. Sur le web, chacun donne son avis sur tout. Vous cherchez un hôtel ? Vous regardez les avis sur Booking.com. Un médecin, ? Vous cherchez des avis sur Google. Un appartement pour les vacances ? Vous consultez les avis sur Airbnb. Chacun peut donc donner son avis, sur Trustpilot, sur les réseaux sociaux, sur les forums en ligne.
La seule chose où le citoyen ne peut donner son avis opérationnel, c’est sur le vote des lois.
Aujourd’hui, on peut retrouver l’agora athénienne sous la forme d’une agora numérique, grâce à Internet.
Au lieu de laisser les députés voter à notre place, il est aujourd’hui techniquement possible que tous les électeurs votent, en se connectant sur le site de l’Assemblée nationale. Cela prendrait quelques minutes et un clic pour chaque loi à voter.
On pourrait ainsi faire voter les Français une fois par semaine ou même simplement une fois par mois. Cela obligerait à proposer moins de lois (nous mourons de l’inflation législative) et à présenter des projets de lois plus lisibles et plus cohérents.
Ce système n’est pas contradictoire avec le RIC, mais le complète. L’avantage du RIC est qu’il permet de donner l’initiative aux électeurs et pas seulement aux députés ou au gouvernement.
Rôle d’un parlement dans une démocratie directe permanente
Alors pourquoi avoir préconisé ce système électoral par collèges si pour finalement dire qu’il n’y pas besoin de parlement ? Bien sûr que si, il y a besoin d’un parlement, pour étudier les projets de lois en commissions, pour débattre dans l’hémicycle, pour proposer des amendements et même – pourquoi pas ? – pour procéder à des votes indicatifs, à charge pour les citoyens de confirmer ou d’infirmer par référendum numérique le résultat de ce vote indicatif. Un député sérieux fait beaucoup de travail, ce que n’a pas le temps de faire le citoyen ordinaire, déjà occupé par son propre travail. Mais au final, c’est à l’ensemble des citoyens de prendre la décision, puisque c’est maintenant techniquement possible.
Objection et compromis possibles
Le risque est que les citoyens soient vite lassés s’ils doivent voter toutes les semaines ou même tous les mois, même s’ils le font sans se déplacer, à partir de leur ordinateur ou de leur smartphone. En effet, le risque d’abstention électorale pourrait ainsi être remplacé par un risque d’abstention numérique.
C’est pourquoi il faudrait peut-être tempérer cette proposition en la limitant aux lois et aux décisions les plus importantes, la définition de l’importance restant à être discutée et tranchée par référendum (numérique).
A titre d’exemple, on pourrait imaginer que soient votés par référendum numérique :
- Le budget (ou du moins le cadrage du budget, car le budget est si compliqué que même la plupart des députés n’y comprennent rien),
- Le cadrage du budget de la Sécurité Sociale,
- L’approbation ou non de tout nouveau premier ministre après son discours de politique générale et donc acceptation ou non du nouveau gouvernement,
- La ratification de tout nouveau traité,
- La confirmation ou l’infirmation de tout traité antérieurement signé,
- Toute motion de censure contre le gouvernement,
- Toute loi concernant les retraites,
- Toute loi de transition dite écologique,
- Toute loi concernant l’énergie, l’industrie ou l’agriculture
- Toute loi sur l’immigration,
- Toute loi relative à la sécurité,
- Etc…
Ce n’est qu’un exemple. Le périmètre des lois obligatoirement soumises à référendum numérique reste donc à définir par référendum.
Les autres lois, jugées moins importantes, resteraient entre les mains du parlement.
Il n’en demeure pas moins, encore une fois, que ce système servira à limiter l’inflation législative qui empêche la population de respirer et obligera les concepteurs de projets de loi à formuler ceux-ci de manière claire et cohérente.
On objectera aussi que tout le monde n’a pas internet. Pour éviter cet inconvénient, on peut imaginer qu’il y ait, en permanence, dans chaque commune un bureau de vote permanent (ou même plusieurs pour les grosses communes). Ces bureaux ne seront pas surchargés. On peut également imaginer, selon une procédure très stricte, une formule de procuration numérique.
Certains penseront que cette formule pourrait donner lieu à des fraudes. L’objection n’est pas à prendre à la légère, mais il est techniquement possible de proposer des garanties : code source ouvert, possibilité pour chaque parti de faire tourner simultanément, avec le même logiciel, le même recueil des votes que le ministère, les résultats obtenus devant être identiques, sauf à déclarer une fraude.
Ainsi le Dr. Thomas NENNINGER est intervenu sur X pour montrer qu'on peut se prémunir contre cet inconvénient grâce à la technique des "ZK proofs".
En outre, le vote électronique pourrait être utilisé pour les élections elles-mêmes. Ainsi, l’électeur parti en vacances pourrait voter sans avoir à se déplacer dans son bureau de vote assigné.
Notons enfin que, pour que la démocratie directe permanente fonctionne effectivement, il faudrait que l'ensemble des citoyens connaissent bien les mécanismes institutionnels. Il conviendrait donc d'inclure une véritable instruction civique dans les programmes scolaires.
4) Sujets non traités
Le Président de la République
Faut-il un Président de la République ? Si oui, quels doivent être ses pouvoirs et comment doit-on le désigner ?
Le Sénat et la représentation des territoires
Doit-on conserver le Sénat ? Si oui, comment le désigner ? Si non, comment les territoires peuvent-ils être représentés au niveau national ?
Les dérives possibles de la démocratie.
Il faudra se poser la question des limites à apporter à la démocratie, même directe.
Par exemple, est-il possible qu’un référendum vote des chambres à gaz pour les musulmans ou pour les juifs ?
Autre exemple : est-il possible de voter une loi exonérant d’impôt tous les transgenres ?
Dernier exemple : est-il possible de voter une loi imposant les bénéfices d’une grande société à 90% pour exonérer d’impôts tous les salariés ?
Autrement dit, si le peuple a le pouvoir, comment limiter son pouvoir si celui-ci devient excessif ?
Cela nous ramènera à la notion de Droit et à celle de Méta-pouvoir.
Ces questions seront abordées dans de prochains articles
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Conclusion
La proposition d’un retour à la démocratie directe permanente permettra à tous les citoyens, grâce à la technologie d’internet, de voter toutes les lois (ou du moins les plus importantes) présentées par le gouvernement ou par des députés, puis débattues et amendées par un parlement devenu plus représentatif du fait d’un mode électoral collégial permettant à tous les milieux sociaux de mieux faire entendre leurs voix.
En complément, le RIC ouvrira la possibilité aux citoyens, sous certaines conditions, d’avoir, eux aussi, l’initiative de certaines lois.