POUVOIR ET META-POUVOIR
Par Jean Patrick Matheron, le 6/03/2025
Introduction
Vous vous en souvenez peut-être, il y a quelques mois les députés et les sénateurs ont voté l’augmentation de leurs indemnités parlementaires. De même ils votent les conditions de leurs propres retraites. Est-ce normal ? N’y a-t-il pas conflit d’intérêts ?
Conflit d’intérêts ne signifie pas forcément corruption mais, dans le cas présent, exprime les contradictions éventuelles entre les intérêts que les élus ont mission de défendre, à savoir ceux de la chose publique, et leurs intérêts particuliers.
Est-il normal que le parlement soit habilité à modifier les règles constitutionnelles et donc, en particulier, les règles selon lesquelles ils voteront les lois ?
Est-il normal que les règles de fonctionnement de l'Assemblée nationale soient fixées par les députés et non par la constitution ?
Est-il normal que les membres du conseil constitutionnel, organe censé s’assurer que le pouvoir n’enfreint pas les règles de la constitution, soient désignés par le Président de la République (pouvoir exécutif) et par les Présidents des deux Assemblées (pouvoir législatif) ?
Est-il normal que des millions de personnes dotées de véhicules crit’air 3 soient interdites de se rendre dans des ZFE, selon une loi votée, contraire au principe de la liberté de déplacement ?
On est donc amené à constater des conflits d’intérêts dans nos institutions :
- Entre pouvoir constituant et pouvoir constitué,
- Entre état de Droit et droit de l’Etat.
I LES CONFLITS D’INTERETS
1) Pouvoir constituant et pouvoir constitué
Pendant la Révolution française, Robespierre disait aux membres de l’Assemblée constituante qu’ils ne devraient pas siéger dans l’Assemblée législative. Il évoquait donc déjà le conflit d’intérêts potentiel entre ceux ayant la charge d’établir la constitution, donc les règles du pouvoir, et ceux d’exercer celui-ci.
Deux siècles plus tard, Mélenchon, candidat à la présidentielle, revendiquait de passer de la 5ème à une 6ème République. Il envisageait que la rédaction de la nouvelle constitution qu’il appelait de ses vœux soit confiée à une Assemblée constituante distincte de l’Assemblée nationale.
Etienne Chouard, en particulier pendant la crise des gilets jaunes, n’a cessé de vanter la nécessité de faire écrire la constitution par des citoyens tirés au sort. Il organisait, à ce titre, des séances « d’ateliers constituants » pour entrainer les gens à cette écriture.
L’idée de confier l’élaboration d’une nouvelle constitution à une assemblée distincte de l’assemblée législative qui fonctionne dans le cadre de la constitution actuelle est donc une idée permanente selon laquelle il n’est pas envisageable que les mêmes définissent les règles du pouvoir et exercent celui-ci.
Quand plusieurs personnes participent à un jeu, tel que les échecs ou le Monopoly, ils jouent selon des règles fixées à l’avance qu’ils ont acceptées. Si, au cours d’une partie, l’un des joueurs déclare subitement qu’il les change, il sera probablement accusé de tricherie, à vouloir remplacer ces règles, élaborées par une entité extérieure aux joueurs, par de nouvelles, plus avantageuses pour lui.
Il en va de même pour les constitutions qui sont les règles du jeu du pouvoir que les joueurs – ceux qui exercent le pouvoir - doivent respecter.
Lorsque l’inventeur d’un jeu a conçu celui-ci, il ne l’a pas fait avec l’idée qu’il favoriserait tel ou tel joueur particulier, mais il l’a fait de manière abstraite sans préjuger des conséquences susceptibles de survenir lors d’une partie, c’est-à-dire d’une occurrence de ce jeu, ayant effectivement lieu. Autrement dit, il l’a conçu avec neutralité. Il ne partageait aucun intérêt spécifique des joueurs potentiels. Il était extérieur au jeu lui-même. Il était neutre.
L’idée de neutralité se retrouve d’ailleurs dans certains jeux, tel le football ou le tennis, qui supposent pour chaque partie la présence d’un arbitre. Ainsi, lors d’une partie de tennis, si l’arbitre favorise l’un des joueurs au détriment de l’autre, il sera accusé, à juste titre, de partialité. C’est-à-dire qu’il lui sera reproché un conflit d’intérêts entre celui d’un déroulement du jeu conforme à ses règles et celui, particulier, de l’un des joueurs.
Ainsi donc, il est généralement admis que le pouvoir constituant qui fixe les règles du jeu du pouvoir doit être distinct des joueurs eux-mêmes, c’est-à-dire des occurrences du pouvoir.
Il est également admis, à propos de ce sujet, la nécessité d’un arbitre chargé de s’assurer du respect de la constitution : une cour constitutionnelle (appelée en France Conseil constitutionnel).
Force est de constater que ces principes, admis en théorie, ont, dans la pratique, été respectés plus ou moins approximativement, en particulier en France.
Ainsi la constitution de 1958, certes approuvée par référendum à une large majorité, a été rédigée par une petite équipe restreinte autour du général De Gaulle. Certains ont même dit qu’il s’agissait d’une constitution sur mesure pour le Général. Sans prendre parti sur le bienfondé ou non de la 5ème République, on ne peut nier qu’il y ait eu confusion entre l’intérêt politique de De Gaulle et l’exigence d’une neutralité constituante.
Certains diront qu’une constitution sur mesure pour un « homme providentiel » a pu très bien fonctionner tant qu’il s’agissait de cet homme, mais qu’il n’en a pas été tout à fait de même avec ses successeurs.
D’ailleurs, cette constitution a été révisée 25 fois par voie parlementaire et non pas constituante, sauf celle de 1962 (élection du Président de la République au suffrage universel) qui fut soumise à référendum, mais sur initiative du Président lui-même.
Quand au Conseil constitutionnel, les événements ont montré que sa neutralité d’arbitre était très relative. Il ne pouvait en être autrement, vue la manière dont ses membres sont désignés. Plus généralement, les cours constitutionnelles défendent souvent des intérêts partisans plutôt qu’une bonne application de la constitution (cf. le scandale récent en Roumanie où les élections ont été annulées parce que ses résultats ne plaisaient pas et où le candidat favori a été empêché de se représenter).
En outre, il est choquant que les différents avantages dont bénéficient les gens du pouvoir (élus, gouvernants, hauts fonctionnaires, etc…) soient définis par ces mêmes gens.
De même, on peut se demander pourquoi les modalités de fonctionnement de l’Assemblée nationale sont fixées par le règlement intérieur de celle-ci et non par la constitution.
On pourrait encore énumérer de nombreux exemples de confusion entre le pouvoir constituant et ce qu’on appelle communément le pouvoir tout court, c’est-à-dire le pouvoir constitué.
C’est pourquoi il serait souhaitable de mettre en place une sorte de pouvoir constitutionnel dont la neutralité politique et l’indépendance par rapport au pouvoir de l’état soient garanties : pouvoir de créer la constitution, de modifier celle-ci, de s’assurer de son respect par les autorités et, plus généralement, de fixer et de contrôler les règles de fonctionnement du pouvoir, sans prendre parti pour telle ou telle orientation politique, ces dernières étant de la compétence du gouvernement, des élus, et en dernier ressort de la démocratie directe permanente, comme proposé dans autre article.
Il s’agirait d’un pouvoir neutre, extérieur au pouvoir mais s’exerçant sur le fonctionnement de celui-ci.
Autrement dit : un pouvoir sur les règles du pouvoir, c’est-à-dire un méta-pouvoir.
2) Etat de Droit et droit de l’Etat
Dans nos « démocraties » occidentales on parle beaucoup de l’état de droit, c’est-à-dire du règne de la Loi. Derrière ce concept se trouve l’idée de Liberté. La loi est donc censée protéger la liberté des individus, en particulier, selon la pensée libérale, contre l’inévitable coercition de l’état : le pouvoir législatif, grâce à la séparation des pouvoirs vantée par Montesquieu dans L’esprit des lois, pouvant ainsi limiter l’éventuelle tyrannie de l’état portée par un pouvoir exécutif qui voudrait n’en faire qu’à sa tête. Ainsi, une assemblée législative serait un rempart contre les abus du pouvoir (sous-entendu exécutif).
Pourtant, rien qu’en se tenant à des exemples récents, ce joli conte de fées est mis à mal par la réalité.
Ainsi, la loi sur les ZFE (Zones à Fortes Emissions que certains surnomment, à juste titre, Zones à Forte Exclusion) prévoit d’interdire l’accès aux grandes villes à certains véhicules détenus par 20 millions de personnes. Cette loi a pourtant bien été votée par le parlement.
C’est bien la législature qui mettra en vigueur l’interdiction des véhicules thermiques en 2035, privant ainsi de mobilité la grande majorité des gens qui n'ont pas les moyens d’acheter des voitures électriques.
C’est bien la législature qui permet la reconnaissance faciale, mesure liberticide s’il en est.
C’est bien la législature qui va interdire la location de logements qualifiés de passoires thermiques, pénalisant ainsi les petits propriétaires privés des moyens permettant d’effectuer les travaux exigés ainsi que les malheureux qui ne trouvent pas à se loger, ce qui est une atteinte au droit de propriété.
C’est Hayek qui a levé le lièvre dans Nouveaux essais de philosophie, de science politique, d'économie et d'histoire des idées en se posant la question : « Qu’est-ce que la loi ? ».
Pour lui, la loi est un ensemble de « règles de « juste conduite », non inventées par un législateur unique mais issues de l’histoire, de la tradition et de la jurisprudence. Ce sont des règles admises par l’opinion générale et non par une volonté populaire du moment (parti majoritaire ?). Ce sont des règles abstraites qui ne préjugent pas des cas particuliers auxquels elles pourraient éventuellement s’appliquer. Elles forment un tout cohérent. Elles correspondent aux seules limitations de libertés nécessaires à la vie d’une société libre.
Il est important de noter que la loi, au sens de Hayek, est constituée de règles abstraites qui n’ont pas été élaborées en vue d’un objectif de gouvernement précis. Elles expriment les seules contraintes imposées aux personnes physiques ou morales (ne pas tuer, ne pas voler, respecter ses engagements contractuels, etc…), élaborées au cours d’un long processus historique, en vue de permettre un fonctionnement, jugé juste par l’opinion générale, d’une société libre dans un ordre spontané.
En gros, il s’agit du droit privé (droit civil, droit des affaires, droit du travail, etc...y compris le droit pénal) par opposition au droit public, celui-ci concernant les règles, nécessaires au fonctionnement de l’état et correspondant à des objectifs politiques souvent portés par la volonté majoritaire du moment et non par l’opinion générale.
Or Hayek a fort justement remarqué que les mêmes assemblées législatives votaient les lois de droit privé et celles de droit public, ces dernières occupant la quasi-totalité de leur temps au détriment des premières.
Ainsi, poursuit-il, les parlements, pour satisfaire les clientèles électorales, en viennent à voter des décisions favorables à telle catégorie mais parfois défavorables à d’autres.
Si nous reprenons l’exemple des ZFE, nous constatons que la loi votée à cet effet satisfait une clientèle électorale des grandes villes au détriment de ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter des « voitures propres ». Le droit privé abstrait aurait plutôt dit que nul ne peut entraver la liberté de circulation de l’autre ou encore que toute discrimination est prohibée.
Et Hayek d’ironiser en se demandant si on pouvait appeler loi toute décision votée par un parlement.
Par exemple la loi permettant à l’état d’être le seul propriétaire d’EDF est une décision (sans doute justifiée) mais n’a pas le caractère d’une loi au sens de Hayek. Ce n’est pas une règle de juste conduite mais une demande gouvernementale visant un objectif particulier. C’est une règle d’organisation contrairement à une loi telle que : « Il est interdit de voler ». On a exécuté la loi sur EDF mais on ne peut exécuter la loi « Il est interdit de voler » ; on peut juste l’appliquer en punissant ceux qui l’enfreignent.
De même une loi votée offrant une réduction d’impôt aux contribuables qui investiraient dans tel produit d’épargne précis serait une loi gouvernementale concernant un cas concret particulier, en vue de réaliser un objectif économique ou social, sans doute louable, mais non une loi abstraite de « juste conduite » qui, par définition, ne préjuge pas des situations particulières auxquelles elle s’appliquerait, celles-ci étant imprévisibles lors de la formulation par le législateur.
La conclusion du philosophe est que le pouvoir, même celui des assemblées démocratiques, ne doit pas être illimité, auquel cas ce serait la porte ouverte au totalitarisme.
On voit donc bien le conflit qui existe entre le droit « gouvernemental » et le droit « naturel et spontané des règles de juste conduite ».
Il s’agit du conflit entre le droit de l’Etat et l’état de Droit. Si le droit de l’état n’est pas borné par le Droit, il y a risque de dérive totalitaire.
Tel est le cas lorsque l’état (ou un supra état), en vue d’un objectif « écologique » décrète que les voitures thermiques seront interdites, obligeant ainsi les gens à acheter des voitures électriques ou à marcher à pied, mesure totalitaire contredite par le principe de non-discrimination.
Ainsi Hayek préconisait que deux assemblées distinctes votassent les « lois » ; l’une, chargée, à juste titre, de contrôler le gouvernement, voterait les lois gouvernementales, l’autre les vraies lois, les premières ne devant pas contredire les secondes qui auraient « force de loi ».
Il avait évoqué, dans le cas de l’Angleterre, la possibilité que la chambre des lords jouât le rôle de cette seconde assemblée, pour aussitôt réfuter cette hypothèse, cette chambre émanant d’une seule classe sociale. Nous pourrions, pour la France, penser au Sénat mais pour aussitôt rejeter également cette option pour des raisons analogues, les sénateurs étant élus par une aristocratie de notables locaux.
On objectera qu’il s’agit là d’un faux problème, puisque je préconisais la démocratie directe permanente dans un autre article.
Puisque le peuple est souverain, par définition tout ce qu’il décide serait juste.
Le peuple est souverain, oui, mais pour autant le souverain ne doit pas avoir des pouvoirs illimités, sinon c’est la tyrannie.
Prenons un exemple caricatural : supposons que M. Zemmour arrive au pouvoir et propose, par référendum, une loi prévoyant que toute personne d’origine algérienne soit expulsée. La loi serait peut-être adoptée, sans doute à une faible majorité, et pourtant il ne s’agirait que d’une loi gouvernementale, portée par une volonté politique visant un objectif précis, et contraire au vrai Droit, selon lequel aucune discrimination ne doit être permise envers une catégorie de la population.
Autre exemple caricatural : un référendum propose que les entrepreneurs soient imposés à 90% et que les salariés soient exonérés d’impôts. Etant donné qu’il y a beaucoup plus de salariés que d’entrepreneurs, il est fort possible que le oui l’emporte. Outre le fait que cette mesure serait stupide sur le plan économique, il s’agirait d’une tyrannie d’une majorité à l’encontre d’une minorité, en contradiction avec le principe de non-discrimination mais aussi d’impôt non confiscatoire.
Hayek propose donc qu’une assemblée spécifique soit chargée de faire évoluer les lois abstraites de « juste conduite » qui sont des lois « naturelles », non issues d’une volonté particulière mais, au fil du temps, de l’opinion générale.
Mais il fait remarquer qu’une telle assemblée ne devrait pas être élue selon les mêmes modalités que les assemblées gouvernementales. En effet, celles-ci sont mues par les partis politiques soumis aux besoins de leurs clientèles électorales demandeuses de mesures concrètes qui leur seraient favorable et n’ont pas, même avec la meilleure volonté, l’état d’esprit nécessaire à l’élaboration de lois abstraites de « juste conduite ». La désignation de l’assemblée chargée de l’état de Droit doit donc être différente de celle de l’assemblée chargée du droit de l’Etat.
Il propose que cette assemblée soit élue au sein d’une classe d’âge (45 ans par exemple) pour une durée de 15 ans, un 15ème étant renouvelé chaque année. Un citoyen voterait donc une fois dans sa vie pour cette assemblée. Chaque année, les citoyens âgés de 45 ans éliraient une fraction des membres de l’assemblée des « sages », un peu - dit-il – comme si « on choisissait les meilleurs élèves de la classe ». Bien entendu les élus ne devraient appartenir à aucun parti, leur mission étant d’élaborer des lois abstraites de justice et non des décisions visant des objectifs politiques.
Hayek ne s’en rendait peut-être pas compte mais, en préconisant la supériorité de l’état de Droit sur le droit de l’Etat, il préconisait l’existence d’un méta-pouvoir législatif chargé d’encadrer et de contrôler le pouvoir législatif ordinaire.
II POUVOIR ET META-POUVOIR
1) Concept de méta-pouvoir
Nous avons évoqué les conflits :
- Entre pouvoir constituant et pouvoir constitué,
- Entre état de Droit et droit de l’Etat.
Nous avons vu que ceux qui détiennent le pouvoir ne devaient pas être les mêmes que ceux qui proposent la constitution (les règles du jeu).
Nous avons vu, également, que ceux qui proposent les lois au quotidien, selon les besoins de l’organisation de l’état, ne devaient pas être les mêmes que ceux qui disent le vrai Droit.
Nous avons donc vu émerger la notion de méta-pouvoir. De même qu’un métalangage est un langage sur les langages, de même qu’un méta-modèle est un modèle de modèles, de même un méta-pouvoir est un pouvoir sur le pouvoir :
- Pouvoir constituant sur l’organisation de l’état,
- Pouvoir du Droit sur les lois d’organisation (droit de l’Etat).
Ainsi nous dépasserions l’ancien schéma (même amélioré par une démocratie directe permanente) :
Le pouvoir (exécutif ou législatif) a l’initiative de la constitution, des réformes constitutionnelles et des lois, même si, en cas de démocratie directe permanente, le peuple a le dernier mot.
Même en cas de RIC, l’initiative viendrait des initiateurs d’une pétition, ceux-ci faisant probablement partie d’un parti politique siégeant à l’Assemblée nationale, avec des motivations concrètes en vue d’un objectif.
Le méta-pouvoir serait constitué d’une assemblée de sages qui aurait les missions suivantes :
- Formaliser les principes constitutionnels admis au fil du temps par l’opinion générale tels que celui de Liberté (liberté d’opinion, liberté d’expression, liberté de la presse, liberté de déplacement, liberté d’initiative, liberté de propriété, liberté de choix, par exemple de son médecin ou de l’école pour ses enfants, liberté d’avoir une vie privée, liberté d’association, en particulier syndicale, liberté religieuse, etc…), celui d’Egalité (égalité devant la loi, égalité des chances), celui de Fraternité (donc de solidarité et de non-discrimination) et en demander l’approbation par référendum à l’opinion générale,
- Elaborer, au fil du temps, les occurrences de la constitution, c’est-à-dire les constitutions successives devant définir le périmètre de l’état (de quoi et seulement de quoi l’état doit s’occuper et donc ce qu’il est interdit à l’état de faire), les règles de fonctionnement de celui-ci (par exemple obligation de voter un budget à l’équilibre et une limite des recettes en pourcentage du PIB) compte tenu des évolutions conjoncturelles ,avec approbation par référendum mais sans contredire les principes constitutionnels ci-dessus,
- Vérifier la bonne application des règles constitutionnelles par les pouvoirs publics,
- Formaliser les règles implicites de « juste conduite » qui ne l’auraient pas encore été et mettre à jour le droit privé (et le droit pénal) ainsi que le cadrage du droit fiscal (le vote de chaque budget se contentant alors de fixer les chiffres et leurs allocations aux différents postes budgétaires, dans les limites fixées par la constitution) ; les règles de droit ainsi élaborées ne devant pas contredire les principes constitutionnels et pouvant être soumises dans certains cas à référendum dès lors qu’elles sont abstraites,
- Vérifier que les lois gouvernementales (y compris celles adoptées par référendum) et que les pouvoirs publics (y compris judiciaires) ne contreviennent pas à ces règles de « juste conduite », c’est à dire au vrai Droit.
2) Opinion générale et volonté populaire
Ce nouveau schéma présuppose une différence fondamentale (que notait Hayek) entre opinion générale et volonté populaire (Notons que Rousseau, déjà, avait du mal à se dépatouiller entre la volonté générale et la volonté de tous).
La volonté populaire reflète la volonté de la majorité. Elle s’exprime sur des cas concrets et donc sur des lois ou décisions gouvernementales qui impactent la vie quotidienne des gens, par exemple sur l’âge de départ à la retraite. L’opinion générale, au contraire, concerne des principes abstraits, par exemple « Il est interdit de voler ».
Ainsi, l’opinion générale s’opposerait au principe du vol mais, dans le cadre de la retraite par répartition, la volonté populaire se prononcerait pour la retraite à 60 ans qui, pourtant, constituerait un vol envers les actifs qui devraient alors subir des impôts confiscatoires pour financer cette retraite.
Le méta-pouvoir serait donc l’émanation de l’opinion générale, alors que, dans une bonne démocratie, les pouvoirs publics sont celle de la volonté populaire.
En limitant, au nom des principes, la volonté populaire, l’opinion générale obligerait celle-là à trouver de meilleures solutions, par exemple la retraite par capitalisation, au moins partiellement ou toute autre solution, à ce jour inconnue.
Le vrai Droit (y compris constitutionnel) émane de l’opinion générale et c’est ce vrai Droit qui devrait permettre d’éviter une éventuelle tyrannie de la volonté populaire majoritaire envers des minorités.
Le méta-pouvoir est un garde-fou contre le totalitarisme.
Ainsi, pendant la crise du Covid, la volonté populaire, tétanisée par la peur de mourir, a approuvé le confinement et le « pass vaccinal ». S’il y avait eu un méta-pouvoir s’appuyant sur le principe de libre circulation et sur celui de non-discrimination, principes admis par l’opinion générale, les pouvoirs publics auraient été obligés de trouver d’autres solutions que ces mesures liberticides, ainsi que cela a été fait, par exemple en Suède.
3) Situations d’exception
Ce dernier exemple évoque les situations de crise (guerre, pandémie, catastrophes, etc…) où les règles démocratiques doivent céder la place à des lois d’exception (état d’urgence, article 16 de la constitution de 1958, etc…). Déjà la République romaine envisageait ce cas en prévoyant, pour un temps limité, la possibilité de désigner un dictateur – le mot vient de là – pour résoudre la crise (par exemple Cincinnatus qui, après avoir remis les choses en ordre, serait retourné labourer ses champs).
Il y a donc des situations graves où des lois exceptionnelles et provisoires sont inévitables. Néanmoins, l’état d’urgence ne devrait être prononcé que par l’assemblée des sages, même s’il est mis en œuvre par un exécutif doté de pleins pouvoirs, cette assemblée gardant la possibilité d’empêcher telle ou telle mesure liberticide et ayant le pouvoir de mettre fin, à tout moment, à l’état d’exception qui, de toute manière, devrait être borné dans le temps par toute constitution digne de ce nom.
Il est à parier, avec un méta-pouvoir de la sorte, que la crise du Covid eût été réglée autrement, peut-être comme en Suède, ainsi que dit plus haut
C’est pourquoi l’assemblée des sages doit vraiment être composée de sages, ceux-ci devant être sélectionnés de manière particulière.
4) L’assemblée des sages
Cette assemblée pourrait s’appeler Sénat. Personnellement je récuse ce nom car il entretient l’idée d’un système bicaméral (Sénat et Chambre des représentants aux Etats-Unis, Sénat et Assemblée nationale en France, Chambre des lords et Chambre des communes en Grande Bretagne), comme le souhaitait d’ailleurs Montesquieu (une assemblée aristocratique et une assemblée du peuple). Hayek, lui-même, restait dans cette vision puisque, finalement, il mettait sur le même plan son Assemblée législative (notre assemblée des sages) et ce qu’il appelait l’assemblée gouvernementale car il voyait plutôt les choses comme une séparation des pouvoirs et non comme l’existence d’un méta-pouvoir abstrait extérieur aux pouvoirs concrets, fussent-ils séparés.
On pourrait appeler notre assemblé Méta-assemblée, mais ce nom serait peut-être difficilement compréhensible, ou encore Assemblée constitutionnelle, mais cette dernière appellation occulterait son aspect législatif pourtant essentiel.
Alors, faute de mieux, nous l’appellerons Assemblée des Sages.
Bien entendu, vous pouvez l’appeler comme vous voulez, pourvu que nous soyons d’accord sur son contenu.
4.1) Désignation des sages
Pour cette désignation, je propose de partir de l’idée de Hayek (élire des gens d’une classe d’âge) et d’Etienne Chouard avec ses ateliers constituants. J’y ajouterai une idée, qui m’a été soufflée par un de mes neveux, il y a quelques années, et qui consiste à envisager des élections sans candidats.
« La sagesse vient avec l’âge » nous dit le vieil adage. Les sages doivent donc avoir un certain âge. Mais ceux qui élisent les sages ne doivent-ils pas aussi être des sages ? Alors pourquoi limiter les électeurs à la classe d’âge de 45 ans (par exemple), comme voulu par Hayek, et ne pas décréter que l’âge électoral de la sagesse soit fixé, par exemple, à 50 ans (l’âge électoral normal étant de 18 ans) ?
Les sages doivent réfléchir dans la durée sur l’évolution du Droit, en écartant toute considération liée à l’immédiateté des faits concrets. C’est pourquoi ils pourraient être élus, à l’âge de 50 ans, pour une durée de 15 ans, ceux d’entre eux ayant atteint leurs 65 ans devant être renouvelés chaque année, parmi des cinquantenaires, par des électeurs de 50 ans ou plus.
Mais il ne suffit pas d’avoir 50 ans ou plus pour être motivé par des considérations juridiques ou constitutionnelles. Il faut prouver qu’on s’intéresse à ces questions et qu’on y a réfléchi.
C’est là qu’intervient l’idée d’ateliers constituants d’Etienne Chouard, ceux-ci devenant des ateliers législatifs et constituants. Ils seraient ouverts à tous les citoyens qui le désirent, à partir de 45 ans. Ceux-ci s’entraineraient à rédiger des articles de constitution ou des projets de lois abstraites. Ceux d’entre eux ayant participé assidument à ces ateliers deviendraient électeurs des sages dès leurs 50 ans et conserveraient ce statut sous la condition de continuer à participer aux ateliers.
Ces ateliers pourraient prendre différentes formes à définir, tels que des clubs, des forums en ligne, des réunions régulières dans des cafés, etc…Leurs initiateurs, animateurs ou modérateurs ne pourraient en aucun cas être éligibles, afin d’éviter que des petits malins se promeuvent ainsi.
De la même manière, toute personne ayant exercé ou exerçant des fonctions politiques ne pourraient pas non plus être éligible, non pas que ce soit mal d'exercer de telles fonctions, bien au contraire, mais parce que celles-ci relèvent du pouvoir ou de l'accession au pouvoir, ce qui doit être clairement distinct des questions de méta-pouvoir.
Au moment des élections, les membres de chaque atelier désigneraient, parmi les cinquantenaires, celui ou celle qu’ils jugeraient le meilleur d’entre eux, sans qu’aucun n’ait pu se porter candidat. On ne voterait pas pour un candidat, mais, comme disait Hayek pour « le meilleur de la classe ».
Ainsi seraient désignés les délégués de chaque atelier.
On mettrait alors en œuvre, avec ces délégués, des super-ateliers par territoires ou par groupes de réseaux sociaux qui, à leur tour, désigneraient, chacun, le meilleur d’entre eux, sans jamais qu’il y ait eu de candidatures.
Pour terminer, on désignerait par tirage au sort, parmi les finalistes, ceux qui siègeront à l’assemblée des sages, après vérification de l'absence d'existence présente ou passée de fonctions politiques, les élus par le sort ayant, bien entendu, la faculté de se désister.
L’obligation de non-candidature permettrait un peu de déjouer les calculs de ceux qui chercheraient par ce biais d’entamer une carrière politique, précaution qui pourrait être confortée par le fait qu’ils seraient en fin de carrière et seraient privés du droit, après leurs quinze années de mandat (ou en cas de démission) de se présenter à d’autres élections ou d’exercer des fonctions gouvernementales.
En contrepartie, et puisqu’ils auraient renoncé à leurs activités professionnelles antérieures, ils se verraient dotés d’un salaire confortable et d’une bonne pension de retraite à la fin de leurs mandats. Ces montants, indexés sur l’inflation, pourraient être décidés par référendum ou par une règle arbitraire tenant compte de leurs rémunérations antérieures, règle elle-même approuvée par référendum.
Bien entendu, la première année, il faudrait élire l’ensemble des sages, chaque tranche d’âge de 50 à 65 ans correspondant à 1/15ème des sièges. Les sages de 64 ans étant élus pour un an, ceux de 63 ans pour deux ans et ainsi de suite.
Passée cette phase d’initialisation, « la machine serait en ordre de marche » et, chaque année suivante, des cinquantenaires seraient désignés pour une durée de 15 ans.
Enfin, les âges annoncés le sont à titre d’exemple. Pourquoi de 50 à 65 ans ? Pourquoi pas de 55 à 70 ? Ou encore, pour une durée de seulement 10 ans, de 60 à 70 ans ?
Tout ceci reste à discuter.
Les sages devraient fonctionner en toute transparence. Leurs débats devraient être publics et les votes nominatifs. Ceci permettrait la contrepartie : Le RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne) révocatoire envers tel ou tel sage jugé défaillant.
4.2) Fonctionnement de l’assemblée des sages
L’assemblée voterait en séance plénière les principes constitutionnels, les révisions constitutionnelles et les lois de « juste conduite », après travaux préparatoires en commissions spécialisées qui pourraient consulter des experts (par exemple droit civil ou droit des affaires ou encore droit constitutionnel ou même cadrage du droit fiscal en ce qui concerne la répartition des impôts). Cela demandera un très gros travail au début (nettoyage et mise à jour du droit existant), puis la tâche sera plus progressive (prise en compte des lacunes juridiques et de la jurisprudence).
Elle élira en son sein :
- Une cour constitutionnelle chargée de vérifier le respect de la constitution, qui pourra être saisie par tout citoyen ou se saisir elle-même,
- Une cour législative qui sera chargée de valider ou non les lois d’organisation votées par le parlement ou par référendum, afin de s’assurer que ces lois ne contreviennent pas à celles de « juste conduite »,
- Une agence anti-corruption, chargée de détecter toute forme de corruption dans les divers organes du pouvoir (élus, gouvernement, administration) avec pouvoir d’enquête, après ou sans signalements,
- Une haute cour de justice, chargée de juger tous les élus, dirigeants ou hauts fonctionnaires soupçonnés de trahison, corruption, ou simplement irrégularités dans le cadre de leurs fonctions,
- Une cour suprême, chargée de juger en dernier ressort les litiges mettant en jeu des personnes physiques ou morales (y compris l’état),
- Une commission financière, chargée de fixer la rémunération des élus, des dirigeants et des hauts fonctionnaires, ainsi que le train de vie des diverses instances, tant au niveau national qu’au niveau local,
- Une commission de nominations, chargée de nommer les juges, afin d’assurer une justice indépendante du pouvoir exécutif et dépourvue de toute idéologie partisane.
Le méta-pouvoir, dans sa dimension législative, mettra sans doute fin au fait qu’à chaque fait divers, sous le coup de l’émotion, on vote une nouvelle loi. Sans doute évitera t’on les éternels allers-retours entre peines plancher et pas peines plancher.
Cependant, le méta-pouvoir n’ayant pas la charge de l’organisation effective de l’état, mais seulement des règles de celle-ci, d’inévitables conflits surviendront avec le pouvoir, en particulier sur les questions budgétaires très concrètes qui s’appliquent à la justice. Par exemple, les sages pourront nommer les juges, mais seulement sur des postes budgétaires de juges ouverts par la loi des finances. De même, si une nouvelle loi des sages prévoit des peines de prison plus sévères, encore faudrait-il que le nombre de prisons suive, ce qui, en France, est loin d’être le cas. Le monde abstrait de la justice serait donc toujours confronté aux réalités concrètes de l’organisation de l’état.
Cela demandera de la part des sages une certaine souplesse mais aussi de prévoir, dans les règles constitutionnelles l’obligation pour l’état de déployer les moyens d’appliquer les règles de « juste conduite », donc de voter des recettes fiscales nécessaires à ce déploiement, tout en respectant les règles constitutionnelles concernant le prélèvement de l’impôt et les limites de celui-ci. Nul doute que l’état rechignera à devoir alors faire des choix électoralement difficiles.
Seul le référendum permettra de trancher ces litiges.
En outre, il faudra bien que notre assemblée des sages soit dotée d’un budget de fonctionnement. Ceci devra être prévu dans la constitution, le cadrage du budget général devant, finalement, être approuvé par le référendum citoyen.
5) Méta-pouvoir et supra-pouvoir
La mise en place de ce méta-pouvoir n’a de sens qu’à l’échelle d’une nation indépendante. Elle ne pourrait avoir lieu dans un cadre supranational, comme l’Union Européenne, où un supra-pouvoir se prétend supérieur au droit national et aux constitutions.
En outre, le droit « naturel », issu de l’histoire, des traditions et de la jurisprudence, est parfois fort différent d’une nation à l’autre.
Etendre le méta-pouvoir à toute l’UE serait une vue de l’esprit, cet ensemble étant déjà gouverné par un supra-pouvoir faisant fi des identités des peuples.
La réalisation d’un méta-pouvoir en France est incompatible avec notre appartenance, ou tout au moins notre appartenance juridique, à cette organisation.
Je sais que Hayek pensait le contraire, mais j’ai le droit de ne pas être toujours d’accord avec lui.
Conclusion
Le concept de méta-pouvoir, à la fois constituant et législatif devrait permettre de dégager un espace de liberté aux forces spontanées qui ne demandent qu’à pouvoir exprimer leurs capacités d’initiative et leur créativité.
Il permettrait de passer, de la situation où l’état se mêle de tout par la contrainte, à une situation où ce serait l’état qui serait contraint, par le droit, à renoncer à ses potentielles velléités totalitaires.
La présente proposition est une proposition de méta-constitution, qui, sans préjuger de la constitution effective d’un moment, garantit un meilleur fonctionnement d’une justice respectueuse des libertés.